mardi 3 avril 2007

"Insulitude à Mayotte", Régis Airault


III) « Insulitude[1] »

Régis Airault

« Je suis prêt pour les voyages « pas trop logiques »…
Yves Le Seigneur, infirmier


III A) Le concept d’insul/itude

A vivre trop longtemps sur les îles, il nous prend au bout de quelques temps à nous, occidentaux non insulaires, un étrange sentiment qui tient à la fois :

De la nausée (à rapprocher du mal des navigateurs, « la nausée des îles », envie de vomir, de rejeter, un haut-le-cœur, un trop plein de rien qui nous déborde), le « syndrome insulaire », impression de tourner en rond, de ne pas pouvoir s’échapper (intellectuellement, mais aussi du regard des autres : « Bienvenue au village n° 6).[2]

D’un vécu dépressif que l’on dit commun en ces terres tropicales et insulaires, le fameux « Fiu » tahitien. Sorte de lassitude atteignant aussi bien les expatriés que les locaux, le « je suis fiu » de Tahiti pouvait expliquer ici à Mayotte certain laisser-aller, baisser les bras à certaines périodes du séjour. Des expatriés découragés, exténués, abattus, dépités en particulier lors de la saison chaude et humide qui s’étale (comme les Bwénis[3]) du mois de décembre au mois d’avril.

On peut alors pousser ce sentiment à l’extrême jusqu’à toucher le fond, la vase, sorte de syndrome de Cotard insulaire associant vécu mélancolique avec impression de pourrissement total (des objets, moisissure due à l’humidité, des idées et des hommes) avec négation d’organes (excepté le sexe peut-être) laisser aller total et plongée dans le grand (ou plutôt dans la grande) noir(e).

En effet les îles, lieux de projection imaginaires de tous nos fantasmes d’enfants (L’île au Trésor, Robinson Crusoë), d’adolescents (Paul et Virginie, Peter Pan et les pirates, Henri de Monfreid et ses Secrets de la Mer Rouge), mais aussi et surtout l’île est associé au sexe, au mythe de la vahiné ensorceleuse qui nous amène sur les chemins de traverse de la Maison du Jouir ouverte par Gaughin aux Marquises.


III B) L’idée de l’île : qu’est-ce qui nous mène ici ?

On peut proposer deux visions différentes, celle des enfants tout d’abord :

Île d’Eden
ENFANTS:

Ferdinand-Clovis :

« Une île c’est un petit point dans le monde, au milieu de l’Océan ». « C’est comme l’île de Peter Pan : c’est une île imaginaire où on ne grandit jamais, avec des choses mystérieuses et plein de secrets. »

Avec :

Les pirates
Les indiens
Les sirènes
Les enfants perdus
La caverne d’Ali Baba
La Fée Clochette

Et Peter Pan, le héros qui y amène tous ses amis. »

Conclusion : les enfants c’est efficace.

Puis celle des adultes :

Île Bagne


ADULTES :

Petit Robert : « Terre entourée d’eau. »

Eric Fougère : « Les îles, ces terres de la mer. »

Île : définition

Une île est un lieu à l’écart.
Tête d’épingle sur la carte.

A l’abri du mon d et de ses passions.
A l’écart des grands chemins.
Et des grandes décisions prises en ce bas monde.

Sur une île :
On touche quelque chose d’essentiel, et c’est bien là le principal.
L’île est un bateau ancré à jamais ( à bon port, à son port).

Insubmersible[4], l’île est hautaine, fière sur ses ergots de sable.

Et qu’ils le veuillent ou non, ses habitants sont sur le même bateau : un bateau qui prend terre et qui s’enracine au cœur de la mer.


III C) L’arrivée : le choc de l’île


PETIT DICTIONNAIRE SUCCINT DE MAYOTTE

Tropicalisé : est tropicalisé un objet qui a été construit pour résister à l’humidité des tropiques, par exemple un « frigo tropicalisé ». Par extension est « tropicalisé » celui qui s’est adapté à la temporalité et aux inconvénients des tropiques.

Sécurisé : est sécurisée une maison protégée contre le vol, avec au minimum :
- des barreaux aux fenêtres, de diamètre suffisant pour ne pas être écartés à l’aide d’un cric de voiture.
- un gardien présent jour et nuit.
- des serrures et des gonds résistant aux « coupe-boulons ».
- un chien, ou de préférence une meute de chiens lâchée dans le jardin, un seul chien pouvant être facilement empoisonné.

Barger : fait de passer de Petite Terre à Grande Terre, les deux îles qui constituent Mayotte, en prenant la barge, bateau navette qui embarque passagers et véhicules toutes les demi-heures. Par extension, prendre le temps de barger, expresion qui est également utilisée pour quantifier une durée : « Tu as trois barges de retard. », équivalente à « trois trains de retard ». « Barger » introduit à Mayotte une autre temporalité et permet d’échapper de la temporalité le temps de la traversée, entre la capitale stressée Mamoudzou et Petite Terre, siège de l’aéroport.

Container : ce qui caractérise le plus l’architecture de Mayotte ce n’est plus le banga, petite case d’adolescents en bambous recouverte de latérite, mais le container. A l’origine du Monde est le container, il fait partie intégrale de l’architecture de la maison, qui a en fait été construite un peu autour, voir les problèmes de sécurité au-dessus.

Le container a aussi une fonction de coffre-fort, garde-meuble ou simplement remise, parfois de fosse sceptique, note du transcripteur. Autrement dit le container résume tout du fonctionnement de l’île de Mayotte. Le container vient d’ailleurs, du monde des M’zungus, les blancs. Le container arrive rempli de produits de consommation mais aussi d’électroménager, de meubles, de véhicules, etc…Le container est un cadeau de noël qui arrive le plus souvent en septembre, au moment de la rentrée, période où soudain l’île devient folle et s’agite avec l’arrivée de Métropole des Nouveaux enseignants et fonctionnaires mais aussi des Anciens qui se replient sur leur territoire chèrement acquis, en brousse ou en ville. Les nouveaux se précipitent à la recherche d’une maison à la S.I.M ( Société Immobilière de Mayotte) qui a longtemps eu le monopole du logement sur l’île et a quadrillé le territoire de résidences Mzungus aux allures de banlieue australienne. Ces maisons avaient au début un certain charme, construites en bois dans un style colonial, perdues dans un jardin exotique. A l’heure actuelle, elles sont le plus souvent construites en plein soleil au sommet des collines avec vue sur le lagon certes, mais sans végétation autour, histoire d’éviter les dégâts dus aux cyclones, pas si fréquent que çà, le dernier eut lieu en 1986[5]. Autre point remarquable, ils sont souvent implantés à quelques mètres au-dessus des bidonvilles d’Anjounais ou de Grands Comoriens en situation irrégulière dont la progression est visible au quotidien.

Il va sans dire que le vol est la préoccupation principale de Mayotte, sport national pour les mahorais qui accusent leurs voisins Comoriens ou Malgaches de tous les maux des îles. Les M’zungus quant à eux vivent dans la crainte permanente de se faire vider leur T3 ou leur T4, et ceci d’autant plus que dans les logements S.I.M. il n’y a pas de container-coffre-.fort.

On peut donc préciser que le container signe en fait l’architecture du particulier à Mayotte. La S.I.M. dont les maisons prises individuellement ont souvent un certain charme, prévoit probablement un lotissement « accumulation de containers », avec tous ceux qu »’ils ont du mettre de côté depuis 20 ans.

Les mahorais regardent avec candeur, étonnement et parfois envie, toute cette accumulation de biens neuf, proprets, qui envahissent l’île, tout en sachant qu’une bonne saison des pluies va mettre tout cela « couleur locale ». De toutes façons, ils savent bien que d’une manière ou d’une autre, ils auront bien un bout du gâteau à moyen terme. Il ne faut pas oublier que leurs ancêtres : naufrageurs, pirates[6], avaient tendance à penser que tout ce qui venait de la mer leur appartenait comme « don des dieux. »

Actuellement c’est encore mieux, Mayotte est l’île des « naufragés volontaires ». Les M’zungus viennent en effet volontairement s’échouer sur ce bout de terre perdu au milieu du Canal du Mozambique et repartent délestés de leurs biens, souvent quelques jours après leur arrivée.

Avec la Départementalisation promise par les politiques en cette période pré-électorale, ils attendent d’autres « cadeaux » qui vont fortement déstabiliser la région des Comores, le R.M.I. (Revenu Minimum d’Insertion) en est un exemple destructeur[7]….


IL(ES) ?

On ne règle pas sa relation au père

En venant dans les îles,

Même si le suffixe[8] « il »

Peut prêter à confusion

Et induire le contraire.


Il s’agit dans l’île du féminin,

De cette relation fusionnelle,

Amniotique,

Comme se mettre dans sa bulle

Où les bruits de la civilisation

Et les bruits de la famille

Sont amortis par la barrière

Placentaire de corail.

02 04 2004






«Tout d’abord l’île te rejette, puis petit à petit,

insidieusement, l’île t’accepte. Après l’île te prend, te

surprend. Enfin l’île te retient puis te dissout. »

06 03 2004 (Décollage de Dzaoudzi pour Nairobi)



QUAND ON ARRIVE A

A MAYOTTE,

ON SE CROIT ANONYME,

ALORS QUE TOUT LE

MONDE

NOUS REGARDE.


TROP-PIQUENT

Les tropiques sont infestés de moustiques. Tout le monde le sait mais on l’oublie vite dès que l’on retourne en Europe. Pourtant le nom ‘Trop-Piquent » devrait faire sens à chaque fois qu’on l évoque.

14 11 2005



Dans les îles,
On perd un petit peu pied !
22 05 2006

Photo de régis Airault,par Isabelle Batany, Le Mahorais


III D) L’épreuve de l’île : le syndrome insulaire


A MAYOTTE

SI TU PARLES

CULTURE,

ON TE REPOND

MANIOC !

Eric Marion, 13 09 2005


A FORCE DE VIVRE SUR UNE ÎLE,

ON FINIT PAR ATTRAPER

LE MAL DE

MÈR(E)…


Le Dr Régis Airault, chef du centre de santé mentale de Mamoudzou jusqu’en juin dernier (il travaille aujourd’hui pour le CNRS à Paris), a mis en place à partir de 2001 ce service sur l’île alors vierge de toute pratique «psy» moderne où le recours au Fundi est systématique. A son initiative, un cycle de conférences «les mercredis de Mamoudzou » renouvelé chaque année depuis cinq ans a pu voir le jour. Régis Airault a été médecin psychiatre en Inde au consulat de France à Bombay. Il est l’auteur de Fou de l’Inde et de Faire une pause dans sa vie, ce dernier ouvrage faisant référence à son expérience de médecin psychiatre à Mayotte. Présentation d’Isabelle Batany, in « Vaincre l’insularité à Mayotte et ailleurs », Mamoudzou, Le Mahorais, n° 115, 03 10 06, pp. 12-13.LE TRAVAIL A MAYOTTE

EST UN VICE SANS FIN….
16 01 2003
A FORCE DE VIVRE

SUR CETTE ÎLE,

TU FINIS PAR Y PERDRE TON LATIN…

19 09 2005


SUR UNE ÎLE,

CA TOURNE EN

PETITS RONDS

DANS L’EAU…

ON NE SAIT PAS POURQUOI

LA PLUPART DES BLANCS

QUI SONT ICI,

SE COMPORTENT

COMME S’ ILS ETAIENT

AU PURGATOIRE.

POST-COLONIALISME?

POST-CHRISTIANISME[9]?


MAYOTTE,

C’EST LA SOUS-FRANCE,

C’EST POUR CA

QUE C’EST PARFOIS DOULOUREUX.




PENSEE,


LE PAPIER EST TROP MOU,

LE CRAYON S’ENFONCE,

MON MORAL AUSSI….

DEHORS, LA PLUIE, INCESSANTE,

ROUGE, DEVALE VERS LE LAGON.

PEUR SOUDAIN

QUE LA MER DEBORDE…

07 01 2003



LE SENSIBLE-L’INSENSIBLE

LE TANGIBLE- L’INTANGIBLE[10]


Nous, les soignants, nous travaillons sur le sensible.

Qui sur le sensible de la chair, (médecins, chirurggiens).

Qui sur le sensible de l’âme, (psys…)

Alors autant vous dire que lorsque l’on doit parler avec les grisailleux administratifs, c’est autre chose qui fonctionne, ou qui ne fonctionne pas.

Il faut carrément changer de cerveau ( ou de partie de cerveau) pour s’adresser à ceux qui insidieusement, lentement, sournoisement, ont pris le pouvoir et vous distille, parcimonieusement et avec cet air suspicieux qui les caractérise, les quelques crédits qui nous permettent de survivre. « Il faut tenir », répètent-ils inlassablement.

« Tenir », de notre côté, signifie ne pas craquer, bricoler avec le peu qu’il nous donnent, pour éviter la catastrophe sanitaire, pour que la pulsion de vie l’emporte, (pour combien de temps encore ?), sur la pulsion de mort.

« Tenir », de leur côté, veut dire retenir, ne pas lâcher (et surtout ne pas lâcher prise, dans tous les sens du terme…). Boucler (les budgets par exemple), évaluer (leur maître mot), soupçonner : « On vous a à l’œil l’ophtalmo…. », précisait l’autre jour à l’aéroport un M.I.R. ( Médecin inspecteur Régional) à un praticien de l’hôpital. Et d’abord, que veulent-ils ces soignants qui toujours en demandent plus et qui par définition sont louches ? Quelle drôle d’idée de vouloir soigner, aider les autres. C’est louche de s’embarquer dans de telles galères, surtout à l’autre bout du monde. Réponses évasives : « L’année prochaine », « Peut-être », « On veut des chiffres », et surtout, il faut éviter les vagues, bizarre et difficile sur une île, éviter que ça bouge, au niveau socialo ou autre.

Insensibles à la vie et à ses remous, ses tourbillons, ses éclats. Ils mettent de la distance avec ces soignants qui parfois prennent la vie à bras le corps, combat perdu d’avance…Mais qui savent que parfois un effleurement de vie, une parole, peuvent changer une destinée, qui sentent bien aussi qu’un souffle d’espoir peut ranimer les braises de la vie. C’est ce que l’on appelle « le transfert ». Allez donc leur parler du transfert au sens psychanalytique du terme. Ils comprennent « transfert de fonds », « décisions modificatives », etc…Le dialogue (et le transfert) sont donc par essence impossibles.

Un monde, ou plutôt une galaxie, nous sépare de ces brutes administratives…

Mais leur insensible, leur intangible, pèse lourd dans al balance, et on ne fait pas le poids quand on essaie de leur expliquer le temps qu’il faut prendre pour ramener un adolescent qui s’égare dans les étoiles, ou pour accompagner un vieillard dans la dernière ligne droite.

Et comment évaluer le silence d e ces entretiens où rien en se dit jamais mais où tout se passe ? En deux mots, où tout se trame…

Comment revenir sur terre, fermer les portes du sensible, de l’humain et la minute d’après se trouver face à cette machine administrative à qui il faut expliquer la vie. Sourires en coin : idéaliste ou embrouilleur ?

Se débattre dans les filets de l’inintelligible plutôt que de se battre.

Trouver d ‘autres armes : sociales, médiatiques.

Hurler, remuer le trou, leur trou : remous, puis retenir sa respiration et espérer qu’un allié rebelle, égaré dans le système, saura vous entendre.

Toucher le sensible derrière la carapace du système. Chercher l’écho et espérer enfin la victoire du Sensible sur l’insensible.

























LE PAYS DE LA LUNE A L’ENVERS


Naufragé volontaire sur cette île du bout du monde.

Temps suspendu sous le vol silencieux et humide de roussettes géantes aux allures de ptérodactyles.

En toile de fond une masse verte, un sein tendu vers le ciel : le Mont Choungui. Réalité soudain : Ex- île- Exil loin- très loin- plus loin. Rien- tout- à peu près.

Le spleen m’envahit comme ces moisissures qui se nourrissent du cuir, lentement, totalement, définitivement.

Je suis bloqué sur une île sauvage où survivent de misérables bannis.

Peu à peu j’ai cessé de m’intéresser à la ligne d’horizon.

Mon regard s’est échoué sur la barrière de corail où j’observe le flux et le reflux des marées.

-Marée Haute : écume blanche au loin, toujours.

-Marée basse : la Bretagne[11].

Puis sur la plage, route de latérite : les crabes pinces en l’air.

Depuis quelques temps, ma ligne de fuite s’arrête sur mon jardin, les plantes, les cocotiers avec en toile de fond la lune à l’envers, telle une barque sur le ciel multi- étoilé. Insomniaque, je rêve d’échappées belles et avant l’aube, l’appel du muezzin me tire bers l’ailleurs.

« Comment vivre dans un pays à la renverse ? », me crie une patiente m’zungu qui craque : « C’est le pays du monde à l’envers. », me précise-t’ elle en avançant avec précaution, car il faut savoir où on met les pieds quand on se déplace sur « le pays de la lune à l’envers[12]».







TROPICAL BLUES








« Huit mois, c’est le moment où l’on craque », me répète en riant le reporter de R.F.O. Mayotte à qui je demandais des nouvelles d’une jeune journaliste du Kwézi[13], «Elle n’a pas résisté. Ici c’est le Paradis mais il y a un moment difficile à passer, un cap. Il faut accepter une autre, temporalité et après, quand vous avez lâché sur le temps, ça va mieux. »

Ses paroles me rassurent, moi qui commençais à sentir la chape de plomb du blues tropical m’envahir. On ne va pas me refaire le coup des Fous de l’Inde. De retour de Zanzibar, ligne de fuite imaginaire à 2H du pays de la lune à l’envers, j’apprends que mon budget psy, pour mettre ne place le premier secteur de santé mentale de Mayotte, (dont j’ai la charge depuis septembre 2001), est égal à zéro pour l’année suivante.

Est-ce le retour de bâton des administratifs de l’A.R.H. (Agence Régionale de l’Hospitalisation) de La Réunion, que j’avais rencontrés à mon arrivée ??!! Je leur avais conseillé de relire Le sanglot de l’homme blanc de P.Buckner, quand ils m’avaient interdit d’aider les M’zungus qui craquaient, en particulier, nos collègues soignants de la D.A.S.S. et de l’hôpital. « Vous n’êtes pas là pour eux mais pour les mahorais !!!! » Voilà ce que c’est que d’être un satellite de La Réunion !!!!

Toujours est-il que pour le moment, mon thème : « la parenthèse », la pause sur place, ou ailleurs, est fort compromis.

Moi qui pensais pouvoir faire ce livre, reprenant dix ans d’expériences cliniques et artistiques, sur le thème de la pause, en le mettant en acte, ici, au milieu du Canal du Mozambique. Je me retrouve dans une espèce de bagne sanitaire à expier je ne sais quelle faute, au milieu de co-détenus qui se disent eux- aussi innocents…Alors allons-y !!!















III E) Vaincre le syndrome insulaire



UNE ÎLE

POUR Y ÊTRE BIEN

IL FAUT TOUS LES MATINS

LUI RENDRE UN CULTE,

UN HOMMAGE ;

EN FAISANT DES ABLUTIONS,

DES BAINS AMNIOTIQUES,

CETTE MER QUI VOUS ENTOURE,

VOUS RETIENT,

VOUS ETOUFFE,

PUIS QUI VOUS LIBÈRE…

Février 2005







Santé mentale : le syndrome du voyageur/ le syndrome insulaire


QUAND L’EDEN DEVIENT BAGNE



Le Dr Régis Airault est responsable du service de santé mentale de Mayotte qu’il a créé en 2001. Il a travaillé auparavant pendant plusieurs années en tant que médecin psychiatre au Consulat de France à Bombay, où il a aidé nombre de voyageurs ayant presque, du jour au lendemain, perdu contact avec la réalité, bien souvent sans troubles préalables annonciateurs de cette confusion mentale. Sur plus de 4 000 patients accueillis chaque année dans son service, un nombre croissant de personnes présentant des troubles liés au phénomène de choc culturel et de vie insulaire. Réponses d’un spécialiste sur cette pathologie qui peut atteindre tout voyageur[1].

Par Isabelle Batany, Le Mawana, n° 24, jeudi 01 juin 2006, p. 6.
Le nouvel arrivant à Mayotte a souvent en tête une image de carte postale de cette petite île perdue de l’Océan Indien, symbole de paradis ( lagons, cocotiers, tortues, baleines, pêche…). Mais parfois l’image ne correspond pas à la réalité. C’est alors que tout commence à aller mal…

Comment se manifestent ces troubles ?

A vivre trop longtemps sur les îles, il nous prend au bout de quelques temps à nous, occidentaux non insulaires, un étrange sentiment qui tient à la fois :

De la nausée (à rapprocher du mal des navigateurs, « la nausée des îles », envie de vomir, de rejeter, un haut-le-cœur, un trop plein de rien qui nous déborde), le « syndrome insulaire », impression de tourner en rond, de ne pas pouvoir s’échapper (intellectuellement, mais aussi du regard des autres : « Bienvenue au village n° 6).

D’un vécu dépressif que l’on dit commun en ces terres tropicales et insulaires, le fameux « Fiu » tahitien. Sorte de lassitude atteignant aussi bien les expatriés que les locaux, le « je suis fiu » de Tahiti pouvait expliquer ici à Mayotte certain laisser-aller, baiser les bars à certaines périodes du séjour. Des expatriés découragés, exténués, abattus, dépités en particulier lors de la saison chaude et humide qui s’étale (comme les bouénis) du mois de décembre au mois d’avril.

On peut alors pousser ce sentiment à l’extrême jusqu’à toucher le fond[14], mélancolie voire dépression. La personne réalise aussi que les problèmes de la vie quotidienne sont les mêmes qu’en Métropole : difficultés d’approvisionnement avec un coût de la vie plus élevé, qu’il n’est pas toujours facile de se faire accepter, qu’il faut faire des efforts pour aller vers les autres, que les conditions de travail ne sont pas les mêmes (climat, généralement davantage de travail). Le décalage culturel, avec la barrière de la langue, peut provoquer une angoisse considérable, une panique ou même des bouffées délirantes et des états hallucinogènes. Ce phénomène n’est pas spécifique aux Métropolitains débarquant à Mayotte : il atteint pareillement les Mahorais lors qu’ils partent en Métropole ou encore à La Mecque. On appelle ça décompenser », en langage psy. Plusieurs jeunes Mahorais que nous suivons au Centre de Santé Mentale ont fait un séjourv en Métropole qui a provoqué chez eux ces troubles. Ils n’ont habituellement aucun antécédent psy mais ont été confrontés là-bas à un réel choc culturel.


A quel moment apparaissent les premiers effets de ces troubles psychiques ?

Les symptômes peuvent se produire dès l’arrivée ( ou au bout de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois), lorsque la réalité ne correspond pas à l’idée que la personne s’en faisait, lorsque la situation est trop inattendue, l’imprévu trop important, les valeurs des deux cultures trop éloignées.

Considérez-vous plusieurs types de « voyageurs » ? Plusieurs profils ?

L’expérience m’a permis de distinguer quatre grands groupes :

a) Le voyage pathologique tout d’abord qui correspond aux pesronnes animées par une idée délirante avant de partir et qui voyagent (ou fuguent) pour fuir leurs problèmes, amis aussi pour se procurer de la drogue. Ce sont parfois des « délirants » qui fuient leurs persécuteurs, des psychotiques qui pensent sauver le monde.

b) Le voyage thérapeutique répond, lui, à ce désir : « je déprime et je vais me soigner sous les cocotiers ». Ce qui peut parfois marcher.

c) Le voyage initiatique est celui des jeunes qui partent dans des lieux considérés dangereux par leurs familles et qui veulent s’éprouver pour revenir fortifiés, grandis, enfin adultes.

d) Le voyage pathogène concerne des gens qui vont bien, qui n’ont pas d’antécédents et qui arrivent dans un pays qui les bouleverse et qui les fait décompenser sous forme de bouffées délirantes.

Mais fort heureusement, la plupart des voyages se passent bien, même si cen, ‘est jamais évident car le voyage est toujours une sorte de prise de risques.

Le meilleur remède ?

En situation d’urgence, une prescription médicale s’avère souvent indispensable et pour les cas extrêmes, un rapatriement doit même être envisagé. Revenu chez lui, les troubles disparaissent et sont généralement sans lendemain.

Mais à mon avis la meilleure solution est de s’échapper régulièrement des îles, physiquement, par des voyages réguliers, seul salut pour une bonne santé mentale. Il ne faut pas attendre d’avoir touché le fond[15].


LE VOYAGE COMME

ECHAPPEE FAMILIALE

Tout comme les M’zungus qui viennent à Mayotte pour échapper à la pression (des profondeurs) de leur culture et/ou de leur famille[16], les mahorais s’engouffrent dans la modernité en s ‘empressant de boucler leurs ceintures de sécurité dans les embouteillages de Passamainty ou de Kawéni. Est-ce pour fuir la monotonie de l’île ? , (que l’on croyait endormie pour l’éternité), ou pour fuir le regard du village et le fardeau familial?

C’est un bol d’air que cette échappée belle vers la ville, voire vers la Métropole ( La Réunion ou Marseille la plupart du temps) pour ces « ruraux cocotiers » déracinés.

Nous assistons donc au même mouvement qu’au XIX ème siècle dans les pays européens, et Mayotte ne fait-elle pas partie de la Communauté Européenne depusi si longtemps qu’on l’avait oubliée ? Quand on pense aux réticences de l’Europe face à l’entrée de la Turquie dans la Communauté Européenne, on devrait leur montrer des images de la façon mahoraise d’être français ici, dans l’Archipel des Comores[17].

Mais revenons en à nos embouteillages. Le problème, quand on fait le pas d’accepter la ceinture et de la boucler, c’est qu’on ne peut pas revenir en arrière. C’est pour cela que tout va trop vite (la politique des « petits pas » ayant laissé la place à celle des grandes « enjambées », on risque d’assister à un repli vers les traditions, et pourquoi pas à un retour aux Comores en 2010 ? Comme une tentative désespérée de rester encore, et le plus longtemps possible, comme à l’adolescence, dans l’enfance.

Mais le problème c’est que « les Comores c’est une Grande Famille » et que les histoires de famille c’est justement ce que l’on fuit en allant vers la modernité; il ne reste donc plus qu’une voie : l’Islam et son rejeton intégriste.


III F) Le Retour et la Nostalgie de l’île



« ON A CHANGE

LA FRANCE PENDANT QUE

JE N’ETAIS PAS LA.»

Un patient de retour en Métropole après 4 années d’expatriation…





« A LA RECHERCHE DU TANG PERDU »

Par Ibrahim ROUST





















[1] Définition : « Trop plein de rien qui nous déborde quand on vit sur une île tropicale. », Régis Airault, 08/02/2005 ; fusion entre « insule » et « solitude », note du Compilateur.

[2] Cfr. la série télévisée des années 60.

[3] Les Bwénis sont les femmes de Mayotte, opulentes, dominantes, qui parviennent à faire adopter à l’Islam une sorte de matriarcat, l’exemple des chatouilleuses*a de Zéna M’Déré étant en la matière le plus frappant. Mais cette attitude de blocage collectif de la vie civile peut avoir des revers pervers, voir l’exemple récent (février2006) de l’occupation de la C.S.S.M : Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte, par le « Collectif de Femmes Leaders de la Vie Publique *b», parce qu’un cadre d’origine comorienne avait été embauché….Note du Compilateur.

*a : Par leurs pressions permanentes -en fait des chatouilles en groupe bien placées, en entourant le pauvre malheureux, tout en revendiquant pour Mayotte-, vis-à-vis des représentants de l’Archipel des Comores, ces Femmes-Soldats, > Sorodas, auraient largement contribué au choix de la France par les Mahorais. Cfr., A la rencontre de Zéna M’Déré, par les élèves de Cinquième du Collège de M’tsamboro, Mamoudzou, Editions du Baobab, 2003, p. 21.Note du Compilateur.

*b : Cfr. Mayotte Hebdo, « Les nouvelles chatouilleuses », Saïd Issouf, n° 276, 24/02/06, p.6. Note du Compilateur.
[4] A priori seulement, puisqu’on sait que les îles ont une formation volcanique et que les atolls du Pacifique par exemple sont des îles enfouies par une éruption terrible, dont les bords du volcan affleurent à peine au dessus de l’eau, on retrouve là encore l’opposition enfer- paradis propre au monde insulaire, note du Compilateur.
[5] Ce texte tiré des Mercredis de Mamoudou, cellule de réflexion sur l’insularité du Service de Psychiatrie,du C.H.M. ( Centre Hospitalier de Mayotte), créé par le Docteur Airault en 2001, est forcément antérieur au 28 janvier 2004, qui salua le passage remarqué d’Elita, qui se solda par 4 morts, de nombreux blessés et des dégâts matériels. En cette année où nous revient du Pacifique El niño, on peut s’attendre au pire. Note du Compilateur.

[6] Il faut préciser ici que tous les mahorais ne descendent pas de marins, beaucoup sont les descendants d’esclaves Makas du Mozambique et du Malawi, utilisés comme main d’œuvre pendant la période sucrière. Les mêmes esclaves alimentèrent aussi le « marché » de La Réunion et bien entendu l’Amérique Latine. A noter qu’un genre de salsa cubaine des années 60 a pour nom mozambique, juste retour des choses…Note du Compilateur.

[7] Humainement parlant pourtant, la Départementalisation de Mayotte, avec une application stricte des minima sociaux et un rattrapage des salaires par rapport à la Métropole, est la seule voie possible. Peut-on concevoir, à moins de prendre les Mahorais pour des infra-hommes, une région française où le coût de la vie est double et où l’on touche deux fois moins ???!!! Note du Compilateur.

[8] Il s’agit bien entendu ici d’une racine et non pas d’un suffixe, note du Compilateur.
[9] Les 2èmes Mercredis de Mamoudzou, « De l’île d’Eden à l’île Bagne, entre dérive et ancrage. », animés par Eric Fougère, (Le grand livre du bagne, Orphie, 2002), Mamoudzou, Salle du Conseil Général, 13 mars 2002.

[10] Le Docteur Airault, en nous contant ses propres déboires au C.H.M. de Mayotte, nous fait toucher du doigt le syndrome de l’insularité : « l’insulitude », dont le symptôme le plus évident est un douloureux sentiment de persécution du à une mise à l’écart totale dans sa profession. Une île telle que Mayotte, où tout reste à faire, pouvait-elle se priver d’un pionnier comme Airault ? Note du Compilateur.
[11] Si ce n’était cette référence à nos magnifiques ponants bretons, ce distique a des accents de Malcom de Chazal, poète insulaire s’il en est, (Île Maurice), dans son remarquable et unique recueil de poésies, palpables comme la vie, Sens- Plastique, Paris, Gallimard, Collection L’ Imaginaire; 1985.

[12] Voir de Régis Airault, Faire une pause dans sa vie, Au pays de la lune à l’envers, Paris, Petite Bibliothèque Paillot, 2004, p.86 : « Regardez toutes ces baleines échouées », en parlant des Bouénis qui consultent le gynécologue....
[13] Rebaptisé depuis Mayotte Hebdo, l’hebdomadaire d’informations le plus important de l’île. Kwézi signifie ‘salut’ en shimaoré.
[14] La première partie de l’article a déjà été utilisé pour définir l’insulitude et le syndrome insulaire, au tout début de cet « exposé », note du Compilateur.
[15] Comme je le signale en infra, le voyage réel est évidemment l’issue la plus évidente pour fuir l’insularité oppressante mais les voyages virtuels auxquels on accède par la création ne sont pas non plus à négliger, toutes formes d’art et d’expressions peuvent nous permettre de nous échapper de l’île tout en y demeurant. Pour donner un exemple, on ne compte plus ici à Mayotte le nombre de collègues d’Arts Plastiques qui exposent, qui se révèlent à eux-mêmes comme créateurs et qui évitent ainsi toutes sortes de syndromes insulaires malsains. Il faut dire qu’ici les peintres disposent de toute la palette des verts et des bleus avec le lagon et la brousse et que l’humain est d’une grande richesse aussi. Il ne faudrait pas oublier non plus l’altérité voire l’amitié, quand elle est possible, pour lutter ensemble contre les syndromes insulaires. Note du Compilateur.

[16] Régis cite l’exemple de Ségalen qui fuit la monotonie familiale de sa Bretagne natale.

[17] Cette vision un tant soit peu idyllique cache en réalité une profonde tension, tous les clandestins, musulmans ou pas, rêvent de devenir français et il suffit en mai 2006 de fermer l’antenne de l’Etat Civil à Combani, fief des Comoriens de l’île, pour que ce soit l’émeute, justifiée d’ailleurs, par l’attitude autoritaire et xénophobe d’Ali Souf, le maire de Tsingoni et de son patron de l’U.M.P..

1 commentaire:

Unknown a dit…

Bonjour,Regis,
Je m’appelle Gustavo Giacosa. Je m’occupe d’art brut- outsider art à Gênes, Italie comme commissaire des expositions et chercheur.
Je viens de commencer une travaille de recherche sur les muralistes outsider en prévision d’une nouvelle expo. Le libraire de l’Halle Saint Pierre à Paris m’a parlé des graffitis de « Babylone » à Mamoudzou. Lui me donnait aussi des photocopies de textes et photos de Cyrille Charbonnier.
Je suis très intéressé à savoir en plus de cette artiste-là. Continue lui a travaillé ? Quelqu’un à suivez ce parcours artistique/humain ? Seraient possibles de voir des photos ? Pouvez vous donner moi quelques renseignements ?
Merci beaucoup
Amicalement
Gustavo