dimanche 1 avril 2007

Voy-âges, Iker Boutin


VOY-ÂGES


Iker Boutin





MICKAËL MONTREALIC




« A travers l’écriture l’incrédule cherche dans l’impossibilité du monde le miracle du possible. »

« La folie dit plus de vérités que la confession sous la torture. »

Augusto Roa Bastos, "Moi le Suprême".



Iker Boutin errait souvent dans la rue Saint-Denis de Montréal, en y admirant l’étrange conjonction entre le sexe et l’écrit, et se rendait souvent au "Presse Café", ouvert jour et nuit, au coin de Ontario Street…

Il y fit la connaissance, dès le premier matin, de Mickaël Montrealic, un géant serbe, au front immense et aux larges mains, qui se qualifiait lui-même de lémurien, n’ayant point dormi la nuit, depuis des années…

Il le trouva monologuant au coin de la rue, debout comme à l’accoutumée, planté sur le trottoir dans sa nocturnité…

Comme Iker l’avait souvent remarqué, au cours de ses nombreux périples, les Fous, car c’en était un, avaient coutume de l’interpeller, et ce fut encore le cas ce petit matin là…

M.M. : How do you do ?
I.B.: Fine...
M.M.: Are you french?
I.B.: Sure...
M.M.: I’m Mikael from Montréal, and I’m fighting against the night...
I.B.: Pour ma part, je lutte contre les grasses matinées, mais une bonne sieste est toujours à intégrer à de longues et utiles journées…
M.M. : I’m here for 25 years.
I.B.: Et votre famille?
M.M. : Ils sont là bas en Serbie, ils sont loin…
I.B. : Et comment vous sentez-vous ?
M.M. : Je suis ici seulement comme une possibilité…

Sur le coup, j’ai dû éclater de rire, car nul homme, qualifié de sensé, ne m’aurait fait une réponse pareille…

Je travaille, en tant qu’auteur de ces lignes, moi aussi dans la possibilité, îles possibles, textes possibles, et cette rencontre ne fit que me confirmer que la Folie est source de fécondité, de rencontres qui vous font plonger dans l’Ecriture des possibilités…

Je me rendis compte à posteriori que mon personnage d’Iker avait été fasciné par Mickaël, comme si deux lignes, séparées par leurs respectives possibilités, pouvaient provoquer des explosions de « spiritualité »…

Scientiste, cabalistique, Fils d’Homme serbe canadisé, jurant comme un cow boy, sur le trottoir planté, au coin de la rue Saint Denis et d’Ontario Street, Mickaël était beaucoup plus qu’une possibilité, il était l’éternité qui se dessine, dans l’éphémère instantanéité d’une rencontre avec la Folie, qui vient toujours corriger nos trajectoires, nous réorienter…

Et ensuite, Iker prit un taxi pour se rendre dans une île boréale, celle du Prince Edouard, au sud du Golfe de Saint Laurent, quand il passa au coin de la rue, il vit le Grand Mickaël, sur son trottoir planté, dissertant avec lui-même sur nos possibles éternités…


M.M. : Je ne suis ici que comme une possibilité/ horizon possible/ au Port de Montréal/ où l’ancre j’ai jeté/ renonçant au jour/ et à la banale mortalité…

I.B. : Tu dois dormir…

M.M. : Je suis un maki enchanté…

I.B. : Ta folie te maintient éveillé…


Alors le fou éclate de rire, et je dois me regarder…



Montréal, juin 2006

















TAXI-MOMIE


Iker se souvenait à présent, étrange coïncidence et rencontre là encore, d’un vieux chauffeur de taxi, d’Asunción, capitale du lointain et mythique Paraguay, où il avait coutume de se rendre, en tant que chercheur et écrivain « des dimanches et jours fériés »…

Il vint les prendre à la sortie du Manduará[1], un soir obscur, pour descendre vers la vieille Gare de la Plaza Uruguaya…

Le véhicule était tout aussi antique que son chauffeur et semblait léviter lentement, libéré de la gravité, dans un espace et un temps dignes d’Amoïté[2]

Il glissait littéralement par dessus les rails du tramway puis bifurqua vers Mariscal Estigarribia…

Taxi-Momie était de fort petite taille, un chauffeur qui l’aurait croisé n’aurait vu qu’une casquette, maniant avec dextérité une antique Ford Falcon, de triste notoriété…

Il faut ajouter à ceci que le Grand-Père Ezequiel[3], appelons-le ainsi, ne prononça pas un mot pendant tout le trajet, j’étais scotché sur mon siège par cette irruption de la Mort et son étrange cortège, empreint de banalité…

Je n’en dis rien évidement à ma femme, elle aurait encore pensé à m’envoyer à l’hôpital psychiatrique..

Au bout de dix minutes d’étrange éternité, il nous déposa au Lido Bar, où nous nous sommes régalés d’une soupe de surubí, bienheureux en tout cas pour ma part, d’avoir réintégré la Vie…

10/07/06 (Asunción, juillet août 2005)





RETOUR VERS LA CHIRAQUIE


Je sortirai de Montréal/

Dans un grand boeïng bleu de mer/

L’esprit lavé/

Dans le dédale/

De cette adorable terre…/


Si l’on excepte/

La chasse aux fumeurs/

Les taxes et les pourboires/

Les gens ici/

Donnent l’espoir/

D’un avenir meilleur…/


Des mots pour rire/

Des mots pour croire/

Que la vie ici/

A une autre saveur/

L’air/

Une autre épaisseur/

Que cette lumière/

Du Saint-Laurent/

Pourrait accueillir/

Mes enfants/
Montréal, 11/07/06


PASONEMES


Où mènent ces pas ? Tel Auster, ou son double, dans Cités de verre, Iker trace des trajectoires improbables, de Montréal à Budapest, puis Eindhoven, et pourquoi ?

Pour que ces pas signifient quelque chose ? Comme ceux de Vona, ou son double, dans ses excellentes fictions déambulatoires que constituent Les fenêtres murées ?

De ces pas, dictés par le hasard, quel est le signifié ?

Ne peut-on penser comme le personnage d’Auster, qu’en les retraçant journellement, tout au moins celles du personnage, -que son narrateur- détective poursuit-, on pourrait en déterminer les humeurs du Passant, du Voyageur aspiré par le Néant…

Eindhoven pour bataver au Grasshopers, tout près du Paradis, bien entendu…


Pasonèmes,

Pictogrammes du voyageur,

Sous chaque coup

De semelle

Un signifié,

Un pas qui vient résonner,

Et vous prendre,

Lecteur,

Ou

Liseur

A

Témoin…


Du rien,

De l’improbable,

D’un livre

Qui s’écrit

En chemin…


Place du Marché,

Où les pas

Se sont arrêtés,

Pour ouvrir

La porte,

D’un nouveau

Secret…




























BOUDDHA-PESTE


« Mon rêve fut incomplet
c’est pour cela que je compris
Que souffrir est le nom du voyage
Que fait le monde et qui mène
De lui jusqu’à lui. »

Fernando Pessoa

Tel un don Quichotte,

Iker a erré,

De Budawar à Pest,

Sans s’y trouver…


Chaque rencontre

Paraissait enchantée,

Des personnages

Et leurs doubles,

Tout était trafiqué…


De Buda

Ou de Pest

Je ne choisirai..


Tel ce Balazs Tibor,

Volatilisé,

Métaphorisé,

Qu’en aucun port,

Je ne saurais toucher…

Je reviens

à Eindhoven,

où la réalité

est un rêve éveillé,

de carrousel

qui tintinnabulait,

à l’heure de la sieste,

une étrange lucidité…



































BAVARIA

ALTOTTING


Quand Iker franchit le seuil de ce Resthaus bavarois, il crut tout d’abord être le premier et dernier client, l’immense salle était en effet vide, et seul un vieil homme, souriant, était attablé près du bar..

Il s’adressa donc à lui, dans son anglais approximatif, et de toute sa personne émanait une telle sympathie, qu’il décida d’emblée de s’asseoir près de lui..

Il s’assura ensuite de la possibilité de pouvoir manger, en cuisine, où la patronne, matrone bavaroise aux yeux bleus ; s’affairait avec une apprentie…

L’échange avait été bref et comme toujours la première question fut :

-Do you speak english?

Non, bien entendu, et tout de suite, en rigolant :

-Do you speak spanish ?

Et là, le vieil homme, -qui quand j’y pense avait toute la prestance d’un Frantz Beckenbauer-, s’exclame :

-Ici même on parle espagnol, regardez derrière vous…

Il y avait là en effetun routier d’Almería, et sa copine, une brésilienne, plutôt enrobée, par la feijoada…

Je décidais donc, à l’initiative de Frantz, appelons-le ainsi, de me rendre avec lui, à la table où l’on parlait espagnol…

Le repas, au demeurant, entièrement composé de produits biologiques, le tout pour moins de dix euros, fut une véritable reconstitution de Babel…

A vouloir parler anglais et espagnol en même temps, et traduire à tour de rôle, Iker se retrouva bientôt, la bière bavaroise (50cl) aidant, en train de balbutier, tel un ivrogne, un sabir incompréhensible…

Frantz, impassible, malgré X chopes, et le champagne local au dessert, qui n’a pas mangé, éclata toutefois de rire, en voyant mes efforts insensés…


Cette rencontre dure environ une heure mais comme dans ls auberges enchantées, du Quichotte, le temps et l’espace furent rompus, j’étais là chez moi alors que je savais que je n’y reviendrai pas….

Le routier et sa femme nous quittèrent au bout de 45mn, pour la fatidique sieste et je restais seul avec Frantz…

Il m’expliqua dans un anglais encore plus approximatif, qu’il n’était qu’un client, un hôte, sans doute le client préféré de la patronne…

Et qu’en hiver, sous 3 mètres de neige, en novembre et décembre, on jouait là du folklore local, qu’on y dansait et qu’il était un des musiciens…

Iker en sortant serra très fort dans ses bars Frantz, ils semblaient s’être toujours connus, ces 60 minutes comme nombre de rencontres de voy-âges, furent décisives, capitales, alors que presque tout le temps, il ne se passe rien qui vaille la peine d’être mentionné…

La France de l’Ennui, de Sarkosy, l’Empereur de chez Norev, une sinistre miniature de Rambaud, à 9 heures les volets clos, des restos qui refusent les clients, à la même heure, des prostituées sur l’autoroute, la France de tous les tabous, ne m’aurait jamais donné une auberge bavaroise, si étrangement enchantée…




























NEVERS MORE
AMOR


Un dimanche après midi d’août, seul dans la voiture, à travers le merveilleux Morvan, le saut d’Ouloux, des virages, des sapins, des cascades, des torrents, cap à l’ouest, depuis Eindhoven ce matin, via Luxembourg et Bourgogne.

Des dizaines d’orage couronnent le majestueux Plateau de Langres, les lacs de l’Aube brillent de mille reflets sur la carte, une île fluviale raté près d’Avallon et j’attaque ces piémonts du Massif Central, voyage éclair ; la douce voix d’une psychanalyste berce ma route, elle me parle de l’adolescence et de la mort…

Et puis tout d’un coup, Iker choisit son cap, ce sera Nevers, capitale d’un Nivernais endormi et oublié. Mais pas par tout le monde, on pense forcément à Bérégovoy, à Mitterrand, à Marguerite Duras bien entendu, et surtout à Roa Bastos dans Le Procureur.

Presque à la fin de la route, à la recherche de la fenêtre du couchant, je marche toute la nuit seul dans cette ville musée, de la Cathédrale au Palais des Ducs de Bourgogne, en passant par les rives de La Loire, tout y semble tellement parfait.

Les trois mers s’y déversent, au confluent des eaux de l’Yonne, de la Loire et de l’Allier…

Et puis n’est ce pas là que Ximena et Félix, à la fenêtre du couchant, mettent un terme à une superbe histoire d’Amour, Nevers More Amor ??? Cette ville est-elle donc marquée par de la Mort et l’Amour, l’étrange ballet ???

Oui, comme chez Marguerite, à une différence près, Félix n’est pas nazi, il veut seulement éliminer un dictateur du Paraguay…

Il fuit l’Amour, pressant, pour se retrouver, pour que dans le goitre du Tyrannosaure Stroessner, sa dague il puisse planter…

Et Nevers disparaît, Nevers More bien sûr, j’y aurais erré des heures dans la nuit, et en vain j’ai cherché, une rue au nom de mon Maître du ¨Paraguay…

Augusto Roa Bastos, dont le Procureur, les greniers de cette vieille ville endormie, devrait hanter…

09 08 06





[1] ‘Tu n’oublieras pas’, en guarani, la langue indigène locale , pratiquée par 90% de la population, dont encore 30 % de monolingues en 2002. Nom d’un hôtel du centre d’Asunción.

[2] Concept guarani qui désigne l’utopie, tout ce qui est inaccessible au-delà de l’espace, du temps et du notionnel, l’une des sources des migrations géantes de la Terre Sans Mal des indiens guarani et d’autres ethnies environnantes. Voir à ce sujet Fils d’homme, Augusto Roa Bastos, Paris, Seuil, 1993, (1960).

[3] La figure du Grand Père est très présente dans l’œuvre de Roa, de Cristóbal Jara dans Fils d’homme à Ezequiel Gaspar dans Le Procureur.

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