vendredi 5 décembre 2008

"Mémoires d'un écrivain", Carolina Orlando, Paris, L'harmattan, janvier 2009



MEMOIRES D’UN ECRIVAIN
(Contes basés sur des récits d’Augusto Roa Bastos)









Genre : conte

Auteur : Carolina Orlando
















































Préface, Traduction et notes :Eric Courthès

Illustration de l’auteur :
« Le porte- plumes- souvenirs »
















Et maintenant dégage Carpincho. Prends la plume et déguerpis plus vite que ça. Je ne veux plus te revoir. Ah, attends un instant. Si tu arrives à écrire avec la plume, ne lis pas ce que tu écris. Regarde les figures blanches, grises ou noires qui tombent sur les côtés, entre les lignes et les mots. »

Augusto Roa Bastos, Moi le Suprême









« Un livre où l’on se perd, où l’on ne trouve pas toujours ce qu’on cherche et où la plupart du temps, on découvre ce qu’on n’y cherchait pas, mais qui nous attendait, là…
Un livre qui nous écrit et nous réécrit…»,

Iker Boutin, à propos de Moi le Suprême














Préface





Augusto Roa Bastos, le génial écrivain paraguayen, passé Maître de l’hypertexte et de l’endotexte entre autres attributs textuels, est mort le 26 avril 2005, trois jours après l’un de ses Maîtres, Miguel de Cervantès, disparu pour sa part, le 23 avril 1616, et pourtant, son œuvre, telle celle de son illustre antécesseur, non seulement ressuscite dans chacune des lectures qu’on en fait mais aussi dans la réécriture.

Nous sommes en effet quelques uns dans le monde à avoir décidé de reprendre en main la plume de Carpincho, celle donc du Suprême et de Raymond Roussel, et à nous l’attribuer. Pour ma part, ce processus se fit de façon presque inconsciente , dans le cas de Carolina Orlando, la démarche est claire, faire revivre le Carpincho à travers d’une part son écriture et d’autre part une interview apocryphe de Juan, un jeune journaliste argentin, en 1978 , à Toulouse, où résidait alors Augusto Roa Bastos, puisqu’il enseignait la littrature latino-américaine et le guarani, à l’Université de Toulouse le Mirail.

Carolina Orlando est née le 24 septembre 1975, elle n’a jamais rencontré Roa et l’a interviewé, elle l’a par contre lu en long et en large, en profondeur oserais-je dire. On retrouve dans ses remarquables mémoires apocryphes de Roa Bastos, l’humanisme révolutionnaire de Fils d’homme, dans le conte « Des armes avec du sang », la complexe pluritextualité de Moi le Suprême, dans les nombreux paratextes et dans « Le jeu de l’écriture », qui débouche sur l’hallucinante marqueterie textuelle de « La légende du divin narcisse », une pièce de théâtre presque exclusivement constituée de passages retravaillés d’œuvres qu’a sans doute lues Augusto Roa Bastos… Impressionnant donc, car au moment où le lecteur exercé de Roa croit déceler une faiblesse : cette pièce est l’élément de trop dans l’ensemble, elle est discordante, ce n’est plus de la ré-écriture de Roa Bastos, et qu’il découvre le stratagème, il ne peut que

réitérer ici sa vision de l’écriture roabastienne, il s’agit d’un endotexte qui se mue en exotexte, par la magie de la relecture et de la ré-écriture. On remarque en effet que dans l’œuvre de Roa, les narrateurs-écrivants sont dominants, qui mettent en scène l’écriture et donnent l’illusion qu’elle s’autogénère : endotexte. Mais logiquement le processus ne s’arrête pas là, le lecteur s’empare à son tour de cette merveilleuse machine à écrire à la Roussel, et y va de sa plume, il réécrit, consciemment ou pas du Roa Bastos, sans jamais sombrer dans les excès de la citation ou du plagiat, il écrit du Roa Bastos, parce qu’il n’a pas le choix, il est condamné à réécrire : exotexte, et à se transformer en simple maillon d’une écriture transfinie…

Ce phénomène est à mon sens unique, c’est pourquoi, quand au printemps 2006, une jeune argentine de 31 ans, grâce à mon blog sur Roa Bastos , m’envoya ses Mémoires d’un écrivain, je ne pus que frémir dès la première lecture. En effet, ce que je croyais la marque d’une forme de folie, la mienne, celle de passer ma vie à commenter son œuvre, à parcourir son pays en tous sens, à lire tout ce qu’il a lu , était partagée et qu’en cette matière à la fois métatextuelle, hypertextuelle, endotextuelle et exotextuelle, je n’étais qu’un novice face à l’incroyable jeune fille…

Pour finir, et c’est là sans doute le plus étrange, je suis sans le vouloir et sans que nous ne nous soyons jamais vus ou concertés, le protagoniste de ces contes à ma façon. De fait, je m’identifie, -en tant qu’ancien postier-, profondément avec le facteur de « Quelques notes sans temps », qui disparaît dans Buenos aires pour ressurgir à Toulouse. Mon cœur frémit à l’occasion d’un colloque à Nanterre, dans « Première rencontre avec Borges », -où j’ai étudié et enseigné-, et bien entendu je me mets dans la peau de Juan quand il parvient enfin, après mille détours textuels, à réaliser l’entrevue de Roa, -qui lui raconte l’histoire du facteur-, à Toulouse en mars 1978. En effet, il m’a accordé le privilège de deux entrevues, en son domicile d’Asunción, en septembre 2000 et en août 2003 , que je pourrais bien qualifier moi aussi de moments « magique(s) sans temps »…

D’aucuns verront dans ces quelques notes une amitié de circonstances et quelques heureuses coïncidences, ou encore une admiration naïve pour un auteur partagée, mais tout comme Roa je crois au « mystère terrible du hasard , et même à sa suprématie sur les lois du monde rationnel.»:

« Le hasard répète toujours les mêmes coups. Qui voudrait tromper le hasard doit seulement en mémoriser les lois. Ce sont les plus simples et les plus rigoureuses de l’univers . ». Nous sommes en l’occurrence deux au moins à avoir maîtrisé l’une de ces combinatoires en même temps, en nous inscrivant dans la «répétition » de la lecture et de l’écriture d’un authentique Génie !!!!

Alors, à l’heure où celui-ci mort récemment est déjà presque oublié, -en effet, on peut signaler cet incroyable paradoxe, les traductions en français de Hijo de hombre et de Yo el Supremo, sont épuisées et non rééditées-, saisissez-vous lecteurs de ce livre pas comme les autres, ayez le courage non mercantile de l’éditer, de le faire connaître, de le lire et de le relire, et de vous engager vous aussi dans cette voie de la délivrance par la réécriture, vous n’y échapperez pas…




















AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR


En 1978, je fis un voyage en France. J’avais pour objectif d’enregistrer sept écrivains latino-américains. L’un d’entre eux se nommait Augusto Roa Bastos. A la suite de plusieurs rencontres dans son appartement de la rue Van Gogh, à Toulouse, ce livre est né : une compilation de moments, transcrits à partir de sa propre voix, qu’il décida de sauver du naufrage qu’est la vie, des mémoires qu’il choisit de ne pas laisser sombrer dans l’oubli, il doit bien y avoir une raison à cela…

Quelques années plus tard, nous nous sommes revus par hasard à Nanterre. A ma grande surprise, il me félicita pour la position que j’avais adoptée lors de la table ronde sur « la réalité dans la fiction » et, presque en chuchotant, il me demanda si j’avais écrit quelque chose à partir de ses récits.

Bien sûr que j’ai écrit quelque chose don Roa, je vous ferai parvenir une copie de mes contes.

Il les reçut en 1984. Un ami commun me fit parvenir son opinion. Il me suggérait, me dit-il, de ne jamais les publier parce que je n’avais pas su retranscrire les faits tel qu’il me les avait contés, que j’aurais pu les avoir écrit mieux que ça, que j’avais utilisé une langue trop baroque, parfois abstraite et confuse.

Mon avertissement en fait c’est que le protagoniste de ces contes est en désaccord avec ceux-ci.

En cherchant les causes d’une telle désapprobation, j’en finis par conclure que peut-être à l’époque l’idée de mon exil m’occupait trop l’esprit, ou que mon manque d’expérience comme écrivain mit à bas cette première oeuvre.

Je n’écartais pas non plus, pour éluder ma responsabilité, la possibilité que Roa Bastos se soit laissé guider par sa volonté de ne pas révéler des histoires intimes, quelque secret ou texte dont il ne veut pas se rappeler.

Cependant, je crois pour ma part que la parution de ceux-ci est indispensable, afin de démontrer comment les circonstances: des instants de vécu qui ne semblent pas laisser de traces, en firent l’écrivain génial qu’on connaît.

Je laisse entre vos mains lecteur, le loisir de la critique. Afin d’étayer mon point de vue, je rajoute les notes de mon cahier qui, je le crois, éclaireront quelques uns de vos doutes. (Vous pouvez toujours vous en passer si vous n’aimez pas les premiers pas).

Ce que je promets en revanche, c’est de revoir ces récits dans quelque temps. Pendant ce temps-là, je rechercherai de la documentation digne de foi et, comme preuve de mon humble condition d’apprenti permanent, je ferais cas des sages conseils d’un maître que j’ai transformé, de façon irresponsable, en Personnage de ces contes.

« Les fables doivent finir en épousailles… »,
Don Quichotte de la Manche

Cahier de Notes
A celui qui le trouvera :

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