dimanche 27 mai 2007

"Métaphorismes", Augusto Roa Bastos, traduction d'Eric Courthès, illustration d'Isabelle Bugnard, non édité à ce jour...




METAPHORISMES







Augusto Roa Bastos

























































































Traduction, notes et introduction d’Eric Courthès
Ilustration de couverture, Isabelle Bugnard




SOMMAIRE


I) Introduction (5-21)

IA) Cadre théorique de la transtextualité (5-6)


IB) Présence des concepts de transtextualité et définition de Métaphorismes (6-8)


IC) Hypertexte : écrire un seul Livre (9)


ID) Endotexte : écrire l’Ecriture (9-10)


IE) Métatexte : Ecrire pour un relecteur-créateur (11-12)


IF) L’Auteur et le Texte absents (12-14)


IG) Ecrire l’Homme (14-15)


IH) Ecrire la Femme (16-17)


II) Ecrire l’Amour (17-19)


IJ) Conclusions (19-20)


II) Métaphorismes (21-67)


IIA) Moi le Suprême (21-38)


IIB) La veille de l’Amiral (39-49)


IIC) Le Procureur (50-60)


IID) A contre vie (61-63)


IIE) Madame Sui (64-67)


IIF) Chronologie de Roa Bastos (68-69)


IIG) Index thématique (70-75)









































I) Introduction


Nous devons avouer tout d’abord que nous avions exclu de nos récentes études sur la transtextualité chez Roa Bastos[1] Métaphorismes, le dernier ouvrage publié par l’auteur seul, en effet, après 1997, Roa ne publia plus que des ouvrages collectifs[2].

Et cette lecture postérieure aux articles et essais déjà cités ne fit que renforcer notre vision du texte roabastien, riche en intertextualité, hypertextualité et surtout endotextualité, dans la mesure où ce recueil de métaphores aphoristiques redit l’œuvre toute entière en filigrane et même l’œuvre absente, des brouillons ou des oeuvres achevées jamais publiées[3], ont en effet été choisies pour compléter ces pensées brèves et complexes. Celles-ci disent non seulement une Ecriture qui se regarde et s’analyse, mais elles constituent aussi une profonde réflexion sur lui-même, sur l’Homme et la Femme, et l’Amour, pour ne citer que les axes les plus remarquables, dans ce petit ouvrage plutôt ignoré par la critique, malgré son indéniable caractère de confessions ultimes et intimes…

IA) Cadre théorique de la transtextualité

Tout comme dans nos travaux précédents de sémiotique textuelle déjà cités, il nous semble important de bien distinguer, voire de remettre en cause, les habituels concepts de sémiotique tirés habituellement de Julia Kristeva et de Gérard Genette[4]. Tout d’abord parce que les notions d’intertexte et d’hypertexte ont tendance à se chevaucher dans la critique actuelle, et ensuite parce que l’hypertextualité, telle que la définit Genette, ne distingue pas la nature de « l’opération transformative[5] » qui sépare forcément un hypertexte auctorial, fort présent chez Roa, d’un hypertexte allographe.

Enfin, parce que chez don Augusto, l’interrogation sur le texte lui-même, l’Ecriture de L’Ecriture, d’un texte qui se met en scène et se génère lui-même, est telle, que la catégorie d’hypertextualité auctoriale n’y suffit pas non plus. Ceci sans compter avec les ruptures métadiégétiques, fort nombreuses dans l’œuvre, qui elles non plus ne peuvent ressortir à la même catégorie fourre-tout d’hypertextualité.

Nous proposons donc pour l’avant-dernière catégorie, le terme d’endotextualité, et pour la dernière, s’agissant du même texte en fait, mis en abîmes successivement, -et non pas du recours à un autre texte, de l’auteur ou pas-, les catégories habituelles de métadiégèses ou métadiscours y suffiront.

L’intertexte se limitera donc, comme le suggère d’ailleurs Genette, s’appuyant sur Kristeva, à la citation, au plagiat ou à l’allusion, l’hypertexte auctorial à la présence, avec transformation ou pas, d’un texte antérieur ou postérieur de l’auteur, l’hypertexte allographe, à la recréation d’un texte d’un autre auteur, et enfin l’endotexte, à une réflexion sur le texte qu’on est en train de lire et plus généralement sur l’écriture.

On voit bien ici que toutes ces catégories ne disent pas les mêmes réalités, on peut même affirmer qu’elles ne suffisent pas à dire toutes les transmutations du texte, surtout chez Roa Bastos.

IB) Présence des concepts de transtextualité et définition de Métaphorismes

Dans le recueil de pensées brèves, et souvent humoristiques, qui nous occupe, l’intertextualité apparaît clairement dans l’excellent index thématique de Carlos Pujol[6], tous les plus grands sont là, généralement cités, à exception du génial don Miguel de Cervantès, dont c’est l’oeuvre qui est souvent commentée, et qui occupe à lui seul 8 entrées, le record dans la série des littérateurs, où l’on peut citer Nietzsche bien entendu, Blaise Pascal, Borges et Quevedo, s’il fallait constituer un quelconque palmarès.

Le grand Cioran lui-même, le Maître incontesté de l’aphorisme, n’y apparaît qu’une seule fois, et la mention à cet auteur va nous permettre de distinguer d’emblée les aphorismes du Maître roumain et ceux de Roa[7]. Cioran était un spécialiste de la pensée noire et concise, pas un auteur de fictions, alors que Roa nous propose ce recueil à la fin de sa carrière littéraire, en replongeant dans sa propre œuvre, marque d’hypertextualité auctoriale remarquable là encore.

D’autre part, la mise en recueil de ces aphorismes préexistants à l’œuvre elle-même, en donne pour le moins une seconde vision, et constitue en soi une démarche hypertextuelle, d’autant plus énigmatique, qu’elle a recours à nombre d’aphorismes jamais publiés et donc de fictions absentes. Mais qu’importe puisqu’on n’écrit qu’une seule histoire et l’auteur en la matière l’a largement démontré[8] : « On a beau combiner les mots dans tous les sens, on écrit toujours la même histoire. » [529], p. 111, A Contrevie

Mais ce qui ici va nous occuper plus longuement, c’est l’endotexte, en effet, comme le signale justement Carlos Pujol, c’est sans surprise le mot « escribir », sans compter tous ses corollaires, qui occupe le plus d’entrées dans l’œuvre, 35 en tout, ce qui justifie que l’on en est fait l’axe autour duquel gravite cette première partie.

Les 5 œuvres sont concernées d’une part, nous vous rappelons qu’il s’agit dans l’ordre de parution de : Moi, le Suprême, Veille de l’Amiral, Le Procureur, A contrevie, et enfin de Madame Sui[9], et d’autre part, dans Fils d’homme, étrangement exclu de la série, les réflexions sur l’écriture ne manquent pas, on peut même aller jusqu’à dire que les endotextes de Miguel Vera dans le chapitre VII, Relégués principalement, contiennent en germe tous les autres, est-il besoin de rappeler la force communicative de cette citation sur l’utopie de l’écriture, du génial narrateur-écrivant de l’œuvre :

« Vieux vice, que celui de l’écriture. Cercle vicieux qui devient vertueux quand il se boucle vers l’extérieur. Une manière de fuir vers l’espace stable des signes : une manière de chercher le lieu qui transporte notre lieu dans un autre lieu. Et n’est-ce pas là le vrai sens de l’utopie ? L’utopie du Fils prodigue revenant au foyer qui n’existe plus ; celle des bannis, des exilés, des relégués qui rêvent de revenir sur la terre à laquelle on les a arrachés et savent que même s’ils y retournent elle ne sera plus jamais la leur[10]. C’est l’homme lui-même qui est l’utopie parfaite. Pour y échapper, on voyage, on est toujours en train d’aller quelque part, on fuit en avant ou en arrière, toujours plus loin[11]. »

La réflexion sur l’écriture est donc permanente chez Roa Bastos, et la longue série d’aphorismes ayant trait à celle-ci transcende toutes ses œuvres, et débouche même sur une nouvelle œuvre, fruit de la compilation de tous ceux-ci. On sait même que cette obsession tardive pour les pensées brèves et métaphoriques n’avait pas trouvé son accomplissement dans celle qui nous occupe, dans le documentaire que je lui ai consacré en 2001,

il m’affirma en préparer une autre série à partir de la culture guaraní[12], et dans une interview de juin 2003, de Luis Antonio Giron, de la revue brésilienne Epoca, de Sao Paulo[13], il affirma même qu’il donnait alors la dernière touche à une série de mille aphorismes intitulés Proverbes rebelles.

Mais avant d’en venir vraiment au traitement de cet endotexte par Roa, il convient de définir le terme de Métaphorismes, puisqu’ils seront l’objet quasi exclusif de notre étude, et nul mieux que l’auteur lui-même, créateur de ce néologisme, ne pouvait le faire :

" Métaphore et aphorisme, fusionnant en métaphorismes, tissent la condensation d'une pensée brève, concise, laconique, cathartique, aux yeux taillés en facettes, qui permettent d'enregistrer la réalité du monde et de l'être humain simultanément, depuis tous les angles et pour tous les temps. [376], p. 88, Le Procureur
[1] « Le texte et ses liens dans quelques œuvres de Roa Bastos », Paris, Université de Paris IV La Sorbonne, CRIMIC SAL, sous presse, 2006 ; Lo transtextual en Roa Bastos, Asunción, Universidad Católica, CEADUC, Biblioteca de Antropología, sous presse, 2006 ; « El endotexto roabastiano », Asunción, Palabras, n° 1, mars 2006 ; « La poética de la ausencia », Asunción, Última Hora, Correo Semanal, 29/01/06. Des passages de tous ces travaux récents sur le texte sont consultables sur mon nouveau blog dédié à Roa http://spaces.msn/com/members/ROABASTOS/PersonalSpace.aspx

[2] Los Conjurados del Quilombo del Gran Chaco, Augusto Roa Bastos, Alejandro Maciel, Omar Prego Gadea, Eric Nepomuceno, Buenos Aires, Alfaguara, 2001, prefacio de Augusto Roa Bastos, « Prefacio para un tetralibro de guerra en tiempos de paz liberal ». Maciel, Alejandro, El trueno entre las páginas, (diálogos entre Augusto Roa Bastos y Alejandro Maciel), Asunción, Intercontinental Editora, 2002. Ceci sans tenir compte de sa grande oeuvre inachevée, Un país detrás de la lluvia, d’un autre recueil d’aphorismes tirés du guaraní, dont il m’a parlé lors de mon entrevue de septembre 2000, et de quelques ouvrages pour enfants…

[3] Roa l’annonce d’emblée en deuxième de couverture : « Cette sélection provient de quelques unes de mes œuvres qui sont mentionnées ici, par ordre chronologique ; de brouillons inachevés ou détruits ; mais aussi de cahiers de notes et de lettres avec des amis, lointains… », Metaforismos, Barcelona, Edhasa, décembre 1996, cette traduction et les suivantes, sauf celle de Fils d’homme, seront de votre serviteur. Par contre, la pagination renverra aux éditions habituelles en espagnol.
[4] Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Editions du Seuil, Points Essais, 1982, p. 7 à 18.

[5] Ibid., p. 14.

[6] Auteur de l’introduction de l’ouvrage de Roa qui nous occupe, Metaforismos, prologue de Carlos Pujol, Barcelone, Editions Edhasa, décembre 1996, et d’un excellent index thématique, dont nous allons tirer le plus grand parti.

[7] En publiant à la fin de sa carrière littéraire, ce recueil d’aphorismes, Roa rejoint les plus grands, tel Cervantès dans Flor de aforismos peregrinos, ou encore Proust et Oscar Wilde, ceci sans compter les philosophes qui tels Schopenhauer, De La Rochefoucauld, Voltaire ou Nietzsche y allèrent aussi de leur recueil de pensées brèves et denses.

[8] Voir à ce sujet mon essai Lo transtextual en Roa Bastos, Asunción, Universidad Católica, CEADUC, Biblioteca de Antropología Paragauaya, sous presse, 2006

[9] Toutes ces œuvres de Roa ont été traduites par François Maspero, aux Editions du Seuil, sauf Métaphorismes, nous espérons pouvoir enfin réparer cette lacune…

[10] On peut trouver là une analogie avec la pensée de Milan Kundera, dans L’ignorance, qui s’appuyant sur l’étymologie latine ignorare du mot espagnol añoranza : nostalgie, nous démontre que la nostalgie c’est ignorer que tout a changé depuis notre départ, et que partant ce dont on rêve n’existe déjà plus…

[11] Fils d’homme, Paris, Seuil, p.227.

[12] Un país tras la lluvia, France/Argentine, 26 mn, 2001. On remarque aussi l’absence du mot guarani dans l’index thématique, compte tenu de la prégnance de la culture indigène dans son œuvre, on peut supposer que cette assertion est vraie, il n’aurait tout simplement pas eu le temps de les publier. Pour finir, n’oublions pas que l’aphorisme, le ñé’ engá, est d’un usage très courant dans la culture guarani, avec une lourde charge métaphorique, en effet, Roa dans cette interview qu’il m’accorda en septembre 2000, le définit magistralement ainsi: « la sombra de la palabra », à partir de son étymologie : ñéé : ‘lengua, palabra », et ta’angá :’sombra’…

[13]: “-Quel livre êtes-vous en train d’écrire actuellement? Vous pouvez nous donner une petite idée ?
“ -En réalité, je travaille sur deux oeuvres en même temps. D’une part, j’apporte la dernière touche à une série de mille aphorismes, (tel est mon objectif), telles des pensées très condensées. Je veux que le livre s’appelle «Proverbes rebelles”mais je n’ai pas encore fini de recueillir une grande partie d’aphorismes, de phrases et de pensées. Heureusement qu’ Alejandro (Maciel) m’aide à sélectionner, parce que j’en ai oublié quelques uns dans « Le procureur », lors de la première collecte. Je ne sais pas si quelqu’un un jour lira les mille, mais on sait bien que l’espoir fait vivre.....D’autre part, je suis en train d’essayer de peaufiner cette espèce de plan général, que l’exécution finale d’une œuvre rend obligatoire. Il s’agit d’un roman qui m’habite, au titre brumeux: “Un pays derrière la pluie. Quand j’étais petit, à Iturbe, le village de l’intérieur où j’ai grandi, je regardais le paysage les jours de pluie et ce voile ténu de la pluie qui s’interposait entre mon regard et la campagne la rendait incertaine, lointaine, intangible. C’est comme ça que je vois mon pays : derrière un rideau qui parfois le met en évidence et d’autres fois l’asphyxie. Et l’on reste ensuite à attendre la lumière du soleil qui inexorablement viendra nous libérer de ce cauchemar intime, de ne pas pouvoir nous reconnaître l’un dans l’autre. Dans cette histoire, il y a une petite fille. Les yeux pleins de rêve d’une petite fille, qui construit quelque chose qui n’existe pas encore mais qu’elle pressent. »

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